Afin de bien comprendre la naissance de l'abstraction moderne dans l'art à partir du dispositif phénoménologique de la conscience, il s'agirait de préciser ce qu'est cette dernière et comment elle fonctionne.
La conscience phénoménologique est traversée de la même tension que le cadre du tableau. Cette tension s'exprime dans la phénoménologie husserlienne dans les termes de l'immanence et de la transcendance. Contrairement à la conscience cartésienne réellement immanante à soi, pleinement identique à elle-même, la conscience phénoménologique husserlienne est ouverte à l'autre que soi. Cet autre est le sens du donné.
Le point de départ cartésien est l'évidence. Evidence à soi de la conscience. Le mérite de Husserl, avant Heidegger, est de pointer l'insuffisance d'un tel point de départ. Enclose en elle-même la conscience cartésienne est incapable de connaitre autre chose qu'elle-même. C'est une conscience sans monde, sans extériorité qui se concquiert dans et à travers l'annihilation de toute réalité extérieure, qu'elle demeure jusqu'au bout incapable de retrouver sur le fondement qu'elle établit. C'est pourquoi il s'agira d'élargir la conscience cartésienne, libérer l'évidence -idole logique morte- de sa prévalence scientifique à l'évidence d'une inévidence, à la donation d'un non donné en personne dans l'immanence à soi de la conscience. Cette ouverture à l'extériorité, se traduit dans les termes de l'immanence intentionnelle ou immanence transcendantale. L'immanence réelle est structurée ou marbrée d'une irréalité, d'une invisibilité, d'un noyau transcendant qu'est l'objet intentionnel ou le sens même du donné.
Cette structure de la conscience comme immanence intentionnelle ou transcendantale, répète la sturcture du phénomène en général que Husserl détermine selon la corrélation essentielle de l'apparaitre et de l'apparaissant, dans L'idée de la phénoménologie. Tout phénomène en général est plus que la simple apparence ou simulacre de quelque chose d'autre qui devrait en rendre raison : la chose en soi, l'idée ou la structure catégoriale comme objectité. Par la corrélation essentielle entre l'apparaitre et l'apparaisant, le phénomène trouve l'autonomie et l'indépendance vis à vis de tout fondement que la métaphysique lui a toujours refusées. Car en effet, que tout phénomène soit défini par la corrélation essentielle entre apparaitre et apparaissant signifie qu'au sein de son apparence se donne l'apparaitre de l'apparaissant. Loin de rester enclos dans son apparence le phénomène s'ouvre à la donation de ce dont il est phénomène, l'apparaissant dans son apparence.
Ce dont le phénomène est phénomène se donne en transparence dans la phénoménalité du phénomène, le phénomène n'est jamais que phénomène de soi. Il peut être compris comme une haeccéité, une manière d'être au double sens du génitif, une manière d'être en tant que manière de l'être, plutôt que comme le prédicat logique dont l'inhérence au sujet est assurée par la médiation de la copule "être". Un phénomène n'est jamais phénomène d'autre chose que soi, tout phénomène n'est jamais que de soi. Il n'y a pas en régime phénomènologique d'outre-monde, monde des essences ou de l'intelligible, mais un monde de purs phénomènes. Ce que traduit par ailleurs le principe phénoménologique husserlien : "autant d'apparaitre, autant d'être".
Mais ce monde de purs phénomènes ne fait sens que parce que la strucure du phénomène est reprise par la structure de la conscience. L'immanence à soi de la conscience reprend l'apparaitre même du phénomène comme "réellité" ou data hylétique c'est à dire données matérielles lorsque la transcendance dans l'immanence de la conscience vise intentionnellement l'appraisant en chair et en os comme irréalité dans la donnée matérielle.

A partir de là il est possible sans dificulté d'identifier la pénoménalité du tableau dans son cadre à la phénoménalité du phénoméne dans la conscience. Le tableau comme objet réel et représentatif de lui-même équivaut aux vécus de conscience, aux data hylétiques c'est à dire à la matérialité réelle au sein de l'immanence de laquelle se donne de manière irréelle l'objet apparaissant. Comme par exemple se donne dans la bidimentionnalité réelle du tableau l'irréalité de la troisième dimension comme un objet intentionnel. Il est alors possible de penser la distinction -distinction de raison- entre la matérialité réelle et l'effet irréel, transcendant dans l'immanence. Une telle distinction donne les deux figures extrêmes de l'abstraction dans l'art.