En effet si le méchant était systématiquement malheureux, le mal s'annulerait de lui-même, puisque ce que chacun veut c'est son propre bien, c'est à dire son bonheur. Mais dès lors que bonheur et vertu ne sont pas analytiquement liés, alors la question du mal demeure. Elle n'est plus la simple erreur de jugement à laquelle voulait la réduire Platon, faire le mal en voulant le bien. Le problème du mal demeure plus complexe que la question qui le formule. A moins que le problème soit tout simplement mal posé. On a pensé suprimer le mal en posant l'affirmation univoque du Bien, face auquel le mal n'était rien. Certes. Mais une autre façon de nier le mal serait de nier en même temps le Bien relativement auquel il se pose pour s'annuler à force d'opposition. La question du mal n'est plus un problème dès lors que la question du bien n'en est plus un non plus.
Au Bien en soi par rapport auquel le mal est nié, se substitue le bon et le mauvais pour soi. Ainsi d'une Morale -dont on a vu qu'elle constituait tout le fondement de la pensée occidentale- se substitue une "Ethique" telle que Spinoza la met en place dans un au-delà du bien et du mal. A l'impératif moral sous l'ordre du Bien se substitue des manières de vivre, autant de manière de vivre qu'il y a de modes finis existant, d'essences singulières, de manières d'affecter et d'être affectés. Il n'y a plus de Bien comme norme une et universelle à laquelle devrait se conformer toute action en vue du bonheur mais autant de manière d'être qu'il y a d'existant ou d'essence singulières se composant les unes aux autres en vue de la joie.
Par-delà bien et mal 2/2.
vendredi 13 avril 2007. Lien permanent Politique
La négation du mal semble être un impératif pour la pensée dans l'ordre moral mais aussi dans l'ordre spéculatif de connaissance. Il était impréatif à Descartes, par exemple, de prouver l'existence d'un Dieu non trompeur -auteur de ma nature et des idées que j'ai- afin que la certitude subjective se meuve en une vérité objective. Cette négation du mal s'effectue sur deux plans : un plan objectif et un plan subjectif. Ainsi pour Socrate le Bien seul étant principe de l'être, le mal n'est pas objectivement. A cette négation s'ajoute la négation subjective consistant dans l'affirmation que "nul ne fait le mal volontairement". Il n'y a donc pas de volonté du mal, nul ne veut le mal. Le vouloir s'articule au bien. C'est le Bien que chacun veut dans ce qu'il veut. Ce bien qu'Aristote qualifie de suprême définit le bonheur. Or il se trouve que bonheur et vertu ne sont pas corrélés de façon nécessaire ou analytique. Cette disjonction constitue le véritable scandale de la raison pratique qui met en défaut la théorie tant épicurienne que stoïcienne. Ni le bonheur ne conduit à la vertu, ni la vertu ne conduit au bonheur. Le méchant n'est pas nécessairement malheureux, le vertueux n'est pas nécessairement heureux. Le mal ne peut donc être nié, d'où la tentative de "Théodicée" de Leibniz ou la "Critique de la raison pratique" où Kant prendra au sérieux cette disjonction entre bonheur et vertu.
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